De Jacaré, du Covid-19, et d'un p'tit coup d'oeil dans le rétro
- paul-etiennechipp4
- 31 déc. 2020
- 7 min de lecture
JACARE
Ce matin, un Petit Prince (même architecte que notre Clamo) est arrivé en provenance de Puerto Williams: Théo de La Julianne a débarqué, sept semaines de traversée en solitaire, pas dormi ces dernières 24h ... Chapeau ! Joie de partager nos expériences, nos parcours, nos connaissances ! Daniel Gazanion apparaît dans chaque conversation, une sorte de coalition de Petit Prince se dessine: nous sommes deux à la marina !
Depuis que nous sommes arrivés le 25 décembre, mes journées se déroulent sur un pont flottant ! Où que je sois, peut-être un peu moins en marchant, la terre tangue autour de moi, au point où il m'arrive de perdre l'équilibre si je me laisse surprendre. "On" me dit que ça peut durer une semaine ... j'en accepte l'augure avec plaisir: encore deux jours.
Jacaré: au bord du Rio Paraiba. Il fait jour dès 5 heures du mat, et ces heures encore fraîches, enfin, disons tièdes, sont précieuses: après 10h, c'est le cagnard, heureusement qu'il y a du vent ! La marina où nous sommes amarrés est pratiquement déserte: l'arrivée de Théo est un événement, nous allons être quatre pour le "réveillon" de demain ! Théo, Jacques Le Gall (un autre solitaire), et William et moi. Le Covid est passé par là, mais nous en parlerons plus loin.
Notre premier point de chute a cependant été Natal, plus en Nord. Nous étions plutôt éreintés tous les deux, et cette courte halte fut la bienvenue ! La marina que nous avons rejointe se situe sur le Rio Potengi, pas très loin à l'intérieur des terres. Après avoir mouillé l'ancre, nous avons rejoint la terre ferme avec notre annexe: sur le sable, nous tanguions tous les deux comme des poivrots ! Nous ne sommes pas restés longtemps, le temps de déguster un jus d'ananas, et retour pour quelques heures de sommeil à bord de Clamo. Le lendemain matin, petite douche froide: le responsable de la marina ne voulait pas enregistrer notre présence, suite à l'interdit de débarquer du gouvernement brésilien. Nous avons réussi à négocier quelques heures à terre, et surtout muni d'une recommandation d'une jeune sud-africain, qui était remonté de Cape Town avec ses parents en voilier une semaine auparavant, et qui travaillait dans la marina comme cuisinier: il nous conseillait de gagner Cabedello, et la marina de Jacaré qu'il avait connue lors d'escales antérieures. Nous avons finalement quitté Natal le lendemain en milieu de matinée, et après une nuit de navigation sportive, avons atterri à Jacaré le 25 dans la matinée.
La première priorité a été de veiller à ce que nous puissions réparer la fuite à l'arrière du tube d'étembeau, juste derrière le presse-étoupe autour de l'arbre d'hélice. Rien d'affolant, mais la réparation devenait nécessaire après les semaines où nous avions quitté Santa Cruz de Ténérife. Or, il s'est avéré que la marina dispose d'un technicien qui pouvait à la fois nous résoudre le problème de la fuite, mais aussi celui de remettre l'arbre d'hélice dans l'axe (suite à l'incident du cordage du casier de pêcheur au large de Lisbonne l'année dernière).
Dans le même temps, nous devions trouver une solution à la requête des autorités Brésiliennes: nous devions quitter le territoire par avion impérativement.
(Petite parenthèse sur cet endroit)
Le fleuve à cet endroit est large et puissant, il se perd au loin en provenance de la ville, et vers l'océan, il se sépare en deux bras, créant un îlot où vivent des habitants hors du temps moderne (eau, électricité). En face de nous, la mangrove; tous les jours, vers cinq heures du matin, débute un ballet incessant de petites barques charriant leur lot de travailleurs journaliers. Au loin, sur les collines, les champs de canne à sucre.
Bien que sans papiers à ce jour, nous sommes libres de déambuler dans le village (masqué), de prendre le train vers Cabedello pour le marché, d'assister à l'attraction de l'endroit: le coucher de soleil, unique selon les ouï-dire du coin ! Tous les soirs, un homme joue le boléro de Ravel au saxo dans sa barque, et la dernière note coïncide avec la disparition du dernier quartier d'orange au-dessus des collines de canne à sucre. Si la marina est particulièrement déserte, en terme de personnes, nous sommes ravis: cela nous donne le temps de nous connaître, dans un espace quelque peu paradisiaque, où même le confinement apparaît comme un luxe inouï. Nous nous souviendrons de Jacaré.
COVID-19
Les autorités brésiliennes ont décrété que nous (enfin, les navigateurs) ne pouvions débarquer au Brésil à moins de disposer d'un billet d'avion pour une destination hors du territoire national à court terme. Dans le même temps, il restait théoriquement possible que nous descendions vers Puerto Williams dans le sud du Chili: cela aurait impliqué de sortir du Brésil et cela était acceptable. Mais, dans le même temps, le gouvernement Chilien et les différents états qui composent l'architecture de ce long pays avaient émis le même interdit: la seule porte d'entrée autorisée au Chili était l'aéroport de Santiago, munis de différents documents censés limiter la propagation du coronavirus.
En mettant ces diverses variables en équation, il ne reste qu'une seule solution: sortir le bateau de l'eau à Jacaré jusqu'à notre date de retour vers la France avec Clamo (évidemment), laisser l'expert entreprendre les travaux nécessaires sur l'arbre d'hélice et le tube d'étembeau, prendre l'avion dès le bateau sorti de l'eau pour le Chili, vivre confinés avec Ann et Ricardo pendant la durée de notre séjour, puis revenir à Jacaré avec automatiquement un visa d'entrée pour le Brésil.
Précisément, les dates sont les suivantes:
12 ou 13 janvier 2021, suite à la grande marée mensuelle du Rio Paraiba, sortir Clamo de l'eau et le poser à sec dans l'enclos de la marina.
14 janvier, vols LATAM Recife - Sao Paulo - Santiago - Puerto Montt, puis bus jusqu'à Ancud et Corona.
31 mars, vols Puerto Montt - Santiago - Sao Paulo - Recife.
Jusqu'au 1er mai, préparatifs de Clamo, et visites au Brésil.
1er mai, retour vers La Rochelle, arrivée aux alentours de la fin juin 2021.
Il reste que la situation sanitaire, économique et sociale au Chili est catastrophique, et que nous devons probablement à la nécessité économique d'obtenir une autorisation spéciale de déplacement inter-régional vers Chiloé. Mais, tout peut changer d'un jour à l'autre, les chiffres sanitaires en effet grimpent de façon alarmante ...
UN COUP d'OEIL DANS LE RETRO
Il reste que nous n'avons pas beaucoup pris le temps de partager nos péripéties maritimes depuis les Canaries. A ce point, nous rentrons en grande partie dans le registre de l'émotionnel, pas vraiment de souvenirs chronologiques sauf à relire notre cahier de bord, et même alors, on peut lire que nous sommes très vite rentrés dans les priorités liées à la navigation: repas, toilette réduits au minimum vital, priorité à la vigilance des quarts dans le cockpit, et à la récupération (dormir !).
Or très vite, nous nous sommes aperçus que l'un comme l'autre étions affublés de certaines faiblesses (pour la navigation en tout cas)! moi, je ne me suis jamais départi d'un mal de mer plus ou moins handicapant, et ce malgré les Stugeron (merci Daniel pour la recommandation), huile essentielle de menthe poivrée, notamment. "On" s'habitue, mais ça limite le champ des "activités" à bord: pour moi, il s'est limité à lire (beaucoup par contre). Quant à William, il a beaucoup souffert de la chaleur, or la direction que nous prenions n'était évidemment pas celle d'une refroidissement avec l'approche de l'équateur, et les quelques 30-35 degrés à l'intérieur du bateau: cela a considérablement limité ses capacités à récupérer lors de ses quatre heures de liberté ... Pour l'un comme pour l'autre, on peut néanmoins parler d'adaptation, car progressivement, les effets de la chaleur ou du mouvement de Clamo se sont estompés: nous verrons comment nous aurons "appris" à notre retour au mois de mai-juin.
Un petit mot sur le mal de mer, qui en surprendra sans doute plus d'un. Il est clair que sans un amour infini pour l'élément "eau", mer, océan, lac, rivière, pluie, je n'aurais pas survécu à cette traversée; je ne sais plus qui m'a dit que j'étais maso ... Mais non, depuis que je suis tout petit, j'ai le mal des transports (Paul-Etienne, tu as pris tes sacs en plastique pour la voiture ?), et cet irrésistible attraction pour la mer est indépendante de toute autre considération. Clamo est, entre parenthèse, devenu ma maison. J'ai souvent la vision de la sorcière dans l'histoire de Kirikou quand je traverse un épisode de mal de mer: il a beau me terrasser en apparence, je reste attaché à garder une claire conscience des choses, et surtout à ne pas "sauter" un quart, pour limiter l'impact de mon malaise sur William et sa propre navigation. La "sorcière" ne me vaincra pas ! A ce jour, la meilleure façon que j'ai trouvée de faire face est d'anticiper les conditions de navigation pendant mon quart, de façon à ne pas avoir besoin d'effectuer de manœuvres trop conséquentes pendant que William dort (ou essaye de dormir malgré la chaleur !) A deux, l'équilibre est fragile, et c'est par une attention consciente à l'état de l'un et de l'autre que nous avons réussi à traverser notamment le pot au noir, qui n'a pas failli à sa réputation ! L'expérience m'a aussi montré qu'en cas de nécessité, je pouvais me mobiliser pour vaincre mon malaise, et curieusement, aussitôt que l'"urgence" a disparu, le mal peut reprendre son cours ... Mystère, qui détient une solution m'envoie ses recommandations !
Mais que cela ne donne pas non plus une idée saumâtre (c'est le cas de le dire) de cette traversée de trois semaines. La complicité entre nous deux s'est affinée, nous avons appris à mieux nous connaître, notamment à appréhender les signaux d'un trop-plein (de fatigue, de ras-le-bol) afin de pouvoir offrir une solution de "recharge" (allonger le temps de récupération, changer l'alternance des quarts par exemple).
Nous avons pleinement goûté aux différents épisodes rencontrés, dauphins, oiseaux, levers et couchers de soleil; états de l'océan avec ses houles infiniment variées, la puissance qui émerge de cette masse mouvante est communicative ... Prévenus par l'épisode de "la vague" au large d'Ibiza l'année dernière, nous avons beaucoup navigué avec la porte de l'entrée de Clamo fermée ... En cas de déferlante forcément inopinée ...
Qu'ajouter sinon que Clamowak est un bateau formidable ! Hommage à Claude ... !
Ces trois semaines de navigation sans discontinuer nous ont appris à mieux le connaître. Il adore le vent et la vitesse. Jusqu'à 25 nœuds de vent, il n'est pas nécessaire de prendre un ris, il reste équilibré, et pour se permettre un peu d'anthropomorphisme, il reste concentré et joyeux de jouer ainsi avec le vent! Ca ne facilite pas forcément le confort à l'intérieur, mais il trace infailliblement sa route au-delà des prédictions. Il flirte aisément avec les 7-8 noeuds de vitesse.
NOUVEL AN
A toutes et tous, nous vous souhaitons une année 2021 plus réjouissante que la précédente, et surtout pleine de petits bonheurs quotidiens ! Prenez soin de vous ! Nous vous embrassons !
Paul-Etienne et William
Dommage que le COVID vous stoppe dans cette belle aventure maritime. Bravo pour votre navigation jusqu’au Brésil et merci pour vos récits. Bonne année et beaucoup de plaisir dans la suite de votre périple terrestre et aérien! Amitiés!