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A William, ce retour vers La Rochelle

24 octobre - 13 novembre 2021



Une fois le pataras remis en place, les haubans tendus autour du mât, il n'y a plus qu'à ...

Je réalise vite qu'en cette saison, il n'y aura plus de fenêtre météo idéale. Je prends celle qui m'offre le plus de vent favorable: Nord, Nord-Est. On va flirter avec une allure de "près". Clamo va déguster, et moi aussi. Je largue les amarres le dimanche 24 octobre, à 08h07, heure des Açores (10h07 La Rochelle). Concentré, mais un peu comme en apesanteur. William est retourné en Ardèche où il prépare sa nouvelle vie. Mais à bord, je le garde précieusement à mes côtés. Je ne serais pas là sans lui. Les reliefs de l'île empêchent le vent d'atteindre Clamowak. J'ouvre mon journal de bord: il s'est affranchi de l'île à 16h49, heure de La Rochelle, sur laquelle je me calque à présent ! Je m'y attendais, ma bonne vieille nausée revient. Heureusement, sur cette route, il n'y a pas de cargos réguliers. "Ca" a duré 48 heures. Le corps a ses habitudes. Je règle les voiles, le pilote, et passe le plus clair de mon temps ... couché. Beaucoup dehors, mais ça mouille.

Je m'encourage en mimant des moments vécus. "Williaaam ?", à quoi il répondait un laconique "Ouiii ?" Ensuite, "Tout va bien ?". Un autre "Ouiii". Je ne l'ai jamais entendu dire "Non". Premier changement: au bout de 48h, non seulement la nausée m'a quitté, mais elle n'est jamais revenue. Heureusement: le vent se lève, ça secoue. J'ai noté: 44 nœuds de vent. La houle est importante, mais Clamowak s'en accommode si bien que je ne pense plus à la jauger. Elle est juste beaucoup plus haute que Clamo ... Je suis grisé par l'absence de nausée: une sorte d'ivresse de cette nouvelle liberté. Il reste que je ne suis pas à l'abri d'une erreur. Au cours d'un changement de bord, alors que je prenais un ris dans la grand voile, l'écoute du génois se glisse dans l'eau et par une sorte de loi de la nature maritime, va s'enrouler autour de l'arbre d'hélice ... Enfin, je ne l'ai pas vu tout de suite. Heureusement, je n'ai pas eu besoin de moteur: l'hélice n'a pas tourné avant que je ne le remarque. Je n'ai pas le choix, il va falloir plonger avant la prochaine utilisation du moteur. Nous sommes au J+4: le 27 octobre. J'ai noté encore deux forts coups de vent le 28. J'écris beaucoup plus dans le journal que lorsque je naviguais avec William. J'ai aussi noté plusieurs nuits sans sommeil, mais cela ne semble pas m'avoir affecté. J'ai tellement un sommeil de navigateur quand je suis à terre, qu'en mer, je me glisse dedans sans efforts excessifs. Quand je dois dormir ... je m'endors, pour me réveiller 20 minutes plus tard. Le premier novembre, nouveau gros coup de vent ... Je n'ai toujours pas pu plonger. L'eau qui était encore à 24° aux Açores, est descendue à 19° ... On verra, de toute manière, il me faut des conditions particulières pour plonger, alors que je suis seul à bord. Premièrement, que le vent descende à quelques nœuds, et en second, que la mer perde quelques mètres de houle ... Ce n'est pas à l'ordre du jour. Le 2 novembre, j'ai noté dans le journal un fort trafic de cargos au nord de l'Espagne. Cette fois, c'est le golfe de Gascogne. En consultant mon AIS, je note que je suis escorté par un garde-côte espagnol (ISS Marshal, quelque chose comme ça comme descriptif), à environ 6 mille nautiques, dans mon sillage. Je me souviens qu'il s'appelait "Shark" avec un numéro qui lui, s'est effacé de ma mémoire. Et même un peu plus loin, un second s'est joint au Shark ! Que d'honneurs! Cette fois, je suis encadré: un à gauche, l'autre à droite. C'est la nuit, je ne les vois pas. J'imagine qu'ils attendent de voir si ma trajectoire se poursuit vers la France ... En effet, au bout de 12 heures d'escorte, ils disparaissent de mon écran. Ca maintient éveillé.

J'ai noté plusieurs fois dans le journal que j'attends le bon moment pour plonger ... et que ce moment ne vient pas. J'en viens à imaginer que je vais devoir mouiller Clamo du côté d'Oléron. Mais le miracle intervient le 5 novembre. J'ai noté: "ce matin, plongé pour dégager l'hélice, foc abattu, GV 3 ris en place, vitesse bateau 1-2 nœuds, compresseur fort utile pour me donner de l'air. L'écoute assez lâche autour de l'arbre d'hélice: je la retire en dix minutes. Dégagé de ce souci à présent, ça change tout ! Reste le cap à présent."

Le 8 novembre, je suis à 33,2 mille nautiques de La Rochelle. C'est la nuit. Le vent est efficace: j'avance vite. Les cargos se multiplient, et les routes de collision aussi. Je décide de faire demi-tour quelques heures, pour arriver en plein jour (c'est visible sur le tracé ci-dessus: c'est le début du boulgi-boulga an face de La Rochelle). Un grand classique: au moment de refaire demi-tour vers La Rochelle, le vent est tombé. L'ironie de ce rappel à l'ordre en provenance des Açores: c'est l'anticyclone du même nom ... Bon, je ne vais pas me lamenter, et s'il y a bien une chose que j'ai apprise lors des routes antérieures, c'est à prendre les choses comme elles viennent. Cela me donne quelques heures, ou jours à patienter, si possible à profiter de mes derniers jours de navigation après une année et quelques de navigation !

Mais Clamo commence à fatiguer. Je ne projette pas ma propre situation, je me sens bien. Mais cela fait plusieurs jours que je ne peux plus me servir du pilote automatique (depuis le début du Golfe en fait). Des houles croisées, des vents forts, des courants sous-marins. J'ai oublié de dire que j'ai remplacé le génois par un foc, à l'avant, et la GV reste à 3 ris: cela suffit pour avancer à 6-7 nœuds. Ensuite, la pompe à eau du moteur perd énormément d'eau: je dois remettre 2 litres presque toutes les heures. Je vérifie ce qu'il me reste d'eau dans les cuves: 60 litre, ça ira. Pourtant je ne m'en sers que pour recharger les batteries, qui, elles aussi ont atteint leur limite de vie: 156 kwH ... chaque jour, je note que le voltage diminue, jusqu'à descendre sous les 10 volts. L'utilisation des instruments s'en ressent. Je profite d'une belle journée lumineuse pour noter les repères à l'arrivée, contourner Oléron, cap 71°, le Pertuis d'Antioche, puis je note les coordonnées après lesquelles je dois remonter au 55° entre les bouées vers La Rochelle. Le pont de l'île de Ré. Il va falloir que j'arrive de jour: avec les feux rouge et verts un peu partout dans la ville, je pourrais confondre. Je note ces repères sur la carte: au cas où je perds le GPS.

Un soir, non loin de l'île de Ré, je me retrouve au milieu d'une flottille de chalutiers; je jongle entre l'écran de mon AIS, et la roue que j'ai bloquée. Quand soudain, tout s'éteint: cette fois, les batteries sont mortes. Plus d'AIS, je change des lumières de route au seul feu de mouillage pour économiser le peu qui me reste, mais lui aussi, au bout d'une heure finit par s'éteindre. C'est la seule fois au cours de cette année de navigation où je ressens le stress: il va falloir sortir de ce guêpier et vite ! Les chalutiers ne sont pas manœuvrant. Et ma VHF est hors d'usage aussi, je ne peux pas les contacter. Heureusement, il y a un peu de vent, et j'arrive, lentement mais sûrement, à descendre sous les latitudes où opèrent les chalutiers. Pas grand chose: le point de bascule est 45°50' N. La question ne se pose pas pour la longitude: le vent m'empêche de m'approcher d'Oléron.

Ces montées, puis descentes juste avant la tombée de la nuit, je les ai faites plusieurs fois: en attendant que le vent qui vient de La Rochelle m'autorise à grignoter du cap vers l'est.


Et puis, il y a des jours comme ça, où tout semble écrit pour vous mener vers votre objectif.

Ca a commencé la veille au soir. Je "sentais" qu'il fallait me préparer pour la journée du lendemain. (Je n'avais plus d'info météo non plus: ma BLU dépendait de mes batteries mortes.) En soirée, j'ai relu le livre de Fred Rebell "Seul sur les flots" (Paul Sproge de son vrai nom, d'origine Lettonienne). J'avais le souvenir d'une grande énergie dégagée par cet homme, qui à bord d'un voilier non habitable d'un peu plus de 6 mètres avait rallié Sydney à Los Angeles: 17'000 mille nautiques ! - Clamo fait le double en longueur !) Après quelques heures de lecture, je m'étais à nouveau imbibé de sa belle énergie ! Je fixai mon départ vers La Rochelle autour de 4h00 du matin ... si le vent daignait se montrer coopérant. Et ce fût le cas ! Un peu avant quatre heures, j'entendis mon éolienne qui augmentait sa vitesse de rotation; restait à vérifier la direction du vent. Je ne l'ai pas notée évidemment, mais j'imagine qu'il a dû basculer sur plein nord si je me rappelle de la position des voiles, tribord amure. Je prends le temps d'enfourner un petit déjeuner conséquent, pour tenir la journée si tout se passe comme anticipé (désiré en tout cas!)

Nouveau clin d'œil du "destin": en arrivant à la point de l'île d'Oléron, pour des raisons assez typiques de ma façon de fonctionner, j'ai des doutes quant au phare que j'aperçois par intermittence, masqué régulièrement par la brume. Ne s'agit-il pas du phare des Baleines, à l'ouest de l'île de Ré ? En y repensant, je me rends compte que c'était stupide, la position de l'île ne pouvait se confondre, même la hauteur du phare était très différente, et même ... sa couleur. Bref, comment créer un problème quand il n'y en a pas ? Appelez-moi ! A ce moment, je croise un autre voilier, non pas à un mille ou plus, mais à cent, voire 150 mètres du mien. Je leur demande comme en plein salon de thé s'ils peuvent me montrer la direction du Port des Minimes. Ils me répondent fort obligeamment que je dois contourner l'île d'Oléron, puis ... Oléron, j'ai ma réponse ! Je me demande s'ils m'ont pris pour un abruti, mais après tout, que m'importe ! Je n'ai plus rien comme instruments. A part, ce qui va s'avérer fort utile, un petit GPS portable, qui me donne la position du bateau, c'est tout ce qu'il me faut. Les piles sont neuves, ouf ! Et c'est avec une certaine allégresse que je note que la direction du vent va me permettre de suivre les caps nécessaires pour rejoindre le Port des Minimes, qu'on est encore au début de l'après-midi ... Reste à anticiper l'arrivée, car dans trois heures la nuit va tomber, et je resterai invisible pour les autres bateaux: pas d'AIS, pas de lumières. Je prends le cap 71°, et je note que mon téléphone capte un signal. A partir de là, tout s'est déroulé comme dans un songe ... J'appelle le CROSS pour les prévenir de mon handicap de visibilité et leur demander la marche à suivre dans ces cas-là. Après consultation du Sémaphore de La Rochelle, ils m'informent qu'ils ont repéré mon Clamowak, et qu'ils ne le lâchent pas de leurs écrans (avec ou sans AIS, je ne sais pas de quels moyens ils disposent, des jumelles à infra-rouge ?). Ils m'informent en outre que s'ils repèrent un navire qui se dirige dans ma direction, ils l'informeront de ma situation.

J'ai encore mis deux heures, à environ 4 nœuds, pour rejoindre le chenal du Port des Minimes, où j'ai été "accueilli" et amarré au ponton du bien nommé "d'accueil" de la capitainerie.

Après quelques formalités et rendez-vous pris à la capitainerie, je me suis retrouvé seul sur le pont ... je pensais très fort à William: nous l'avions bouclé notre voyage !


J'étais content qu'il n'avait pas dû affronter le souci avec les chalutiers: cela lui aurait rappelé le souvenir d'une nuit d'enfer à Gibraltar, où, seul au gouvernail, il avait eu l'impression qu'un hydroglisseur allait l'emboutir tant il avait frôlé Clamo !

Cerise sur le gâteau, une semaine plus tard, la capitainerie m'attribuait une place annuelle, sur la liste d'attente de laquelle je m'étais inscrit deux années plus tôt. On dit parfois que "quand ça veut pas, ça veut pas". Maintenant, je pouvais dire aussi: "quand ça veut bien, ça veut bien !!" Entre 4h du matin, et 18h, tous les éléments ont convergé pour nous permettre de rejoindre La Rochelle ! Et c'est à toi, William, que mes pensées ont convergé cette soirée, avec un sentiment d'une immense gratitude pour tout ce que nous avions accompli au cours de ce voyage.


Le Grau du Roi, le 29 octobre 2020 - La Rochelle, le 13 novembre 2021









 
 
 

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